Régis Delanoë a (re-)découvert les cahiers écrits par sa grand-mère après le décès de cette dernière, lorsqu’il fallut ranger ses affaires. C’était en 2018, elle avait 98 ans. Elle s’était mise à écrire vers 80 ans, persuadée qu’elle avait là une « mission », celle de transmettre son expérience de vie aux futures générations. A l’époque, le jeune Régis a 17 ans. Sa grand-mère lui confie son projet d’écriture (elle qui a quitté l’école avant le certificat d’études) et ajoute : « Peut-être que tu en feras quelque chose, plus tard. » C’était sans savoir que son petit-fils, déjà intéressé par ses écrits, deviendra journaliste, après des études d’histoire, et qu’il finira par éditer une partie du récit de son aïeule, seulement sept ans après son décès. Sur les conseils de son éditeur, il a agrémenté les extraits d’éléments historiques replaçant les événements dans leur contexte. Et voilà « Augsutine » publiée en octobre 2024 aux éditions Au coin de la rue (Langrolay-sur-Rance). Un livre qui rencontre déjà un vrai succès, avec 12000 exemplaires vendus en un an! L’auteur était l’invité de la bibliothèque Malraux de Saint-Brieuc, ce vendredi 28 novembre. L’occasion pour moi d’établir des parallèles avec mon activité de biographe.
Le récit de cette dame, qui a toujours vécu dans un même périmètre, autour d’Yffiniac et Hillion, m’a tout de suite interpellée. Parce que j’y retrouve les grands thèmes abordés par mes biographiés, ici en Côtes-d’Armor : les lendemains de la première Guerre mondiale, une enfance sans eau ni électricité, la seconde Guerre mondiale et l’Occupation, les 30 Glorieuses, le boom technologique dans les campagnes… « Elle n’a rien vécu d’extraordinaire et pourtant son récit nous raconte ce XXe siècle a transformé l’agriculture, les communications, le mode de vie, la société… », confie Régis Delanoë. Et c’est vrai aussi pour toutes les biographies que j’écris.
Comme « Augustine » à Yffiniac, mes biographiés sont nés dans les années 1920-30 en campagne bretonne. Comme elle, ils ont vécu tous ces bouleversements sociétaux. Comme dans « Augustine », on peut lire dans leurs récits la « micro-histoire », une « histoire incarnée » (ce sont les mots de Régis Delanoë), peu enseignée à l’école mais qui s’insère dans la grande Histoire.
Comme Régis Delanoë, j’aimerais tellement que les petits-enfants et arrière-petits-enfants des personnes qui me confient leur vie s’exclament, dans quelques années : « J’étais fier que ma grand-mère écrive ses mémoires » !